Tenir compte des usages pour agir sur l’efficacité énergétique des bâtiments

Tribune publiée le 18 avril 2023 sur Business Immo.

 

Au cœur des préoccupations, la crise énergétique a amené le gouvernement à prendre de nombreuses mesures face au risque de pénuries d’énergie. Parmi ses actions, le lancement via la Commission de Régulation de l’Energie, d’une mission sur le pilotage du bâtiment, actuellement le plus mauvais élève de la classe en matière de consommation d’énergie en France. Pour rappel, l’immobilier consomme 44% de l’énergie, dont 30% sont perdus dans des bâtiments mal exploités. Or, à y regarder de plus près, la consommation d’énergie d’un bâtiment est intimement liée à l’usage qui en est fait… Des usages par ailleurs eux-mêmes profondément transformés depuis la crise sanitaire. C’est pourquoi, aujourd’hui, plus que jamais, nouveaux usages et transition énergétique doivent être appréhendés de concert par le digital pour faire gagner les bâtiments en performance servicielle, économique et environnementale.

 

Le digital, levier de toutes les transformations

 

Le nécessaire pilotage énergétique du bâtiment a remis sur le devant de la scène l’existence des différentes technologies smart building permettant de réguler les équipements du bâtiment – chauffage, ventilation, éclairage, etc. – afin d’optimiser la consommation d’énergie des ouvrages et donc améliorer leur efficacité énergétique. Aujourd’hui, on estime que grâce à son pilotage il est possible de réduire les dépenses énergétiques d’un immeuble de 20 à 30% par an. De son côté, l’avancée de l’hybridation du travail a plongé le parc tertiaire tel qu’on le connaissait jusqu’ici dans une obsolescence fonctionnelle inexorable tout comme elle en a fait la promesse d’une nouvelle proposition de valeur faite aux collaborateurs : confort, sécurité et qualité de vie au travail. Les nouveaux modes de travail ont ainsi mis en évidence l’essor de toutes les technologies dites de smart office, avec ce que cela implique en termes d’infrastructure informatique : pouvoir proposer une interaction sans couture, pouvoir assurer une sécurité des données dans des systèmes de plus en plus ouverts, faciliter l’usage de services rendus à l’utilisateur.

 

Expérience utilisateur et efficacité énergétique, même combat

 

Or, aujourd’hui c’est bien de faire converger les usages et l’efficacité énergétique dont il s’agit. Les pertes énergétiques liées à l’exploitation des bâtiments pourraient en effet être limitées par la mise en œuvre de dispositifs optimisant les consommations au juste besoin des occupants. On ne cite plus le cas de bureaux chauffés un vendredi alors qu’ils sont vides ou de parkings ouverts pour quelques voitures seulement. Et, jusqu’ici, ces deux mondes – smart building et smart office – ne se parlaient pas. Faire du smart office impliquait d’avoir une base de données ad hoc, par exemple pour gérer les positions de travail et autres besoins des utilisateurs des espaces tertiaires, tandis que faire du smart building impliquait de construire une autre base de données dédiée, elle, à l’exploitation du bâtiment et de ses équipements actifs. Or, réduire l’empreinte énergétique des bâtiments devra nécessairement passer par la création d’une seule base de données, un référentiel unique et unifié alimentant un même système d’information capable de faire converger donc à la fois des données d’usage et bâtimentaires. Ces plateformes de services feront converser les données issues des capteurs d’analyse d’air, d’eau, d’électricité, de ventilation, etc. avec celles issues des capteurs de position de comptage, de flux, de présence, de reconnaissance faciale, etc. Des plateformes multi-servicielles qui portent très bien leur nom puisqu’elles rendent des services : à la fois aux occupants en leur fournissant une qualité de vie au travail inégalée par le digital, aux gestionnaires des bâtiments en rationnalisant l’usage qu’ils en font, ainsi qu’aux assets managers et autres promoteurs qui peuvent avoir une vision et une visibilité patrimoniales complètes de leurs actifs immobiliers, de leurs fonctionnements, des économies qui en sont faites et donc de leur rentabilité. Un atout essentiel alors que l’immobilier continue d’être le second poste de dépenses des entreprises en France.

 

De l’immeuble à la ville

 

On l’a compris, plus un bâtiment est géré, contrôlé et piloté en fonction des usages, plus importantes seront les économies d’énergie réalisées. Encore faut-il pouvoir pousser le curseur un cran plus loin et penser ces plateformes de services connectées comme des infrastructures ouvertes aptes à intégrer et agréger, également, les systèmes d’information d’autres écosystèmes environnants aux bâtiments pour lesquels elles ont été conçues. Cela peut concerner les systèmes d’information d’autres ouvrages privés situés à proximité, ou encore ceux de la collectivité. Rechercher l’efficacité énergétique d’un bâtiment et la piloter en fonction des usages, cela veut donc pouvoir aussi dire que la même plateforme de services qui ferme automatiquement un parking d’une entreprise A, parce que son affluence est faible, puisse par exemple indiquer au visiteur ou au collaborateur qu’un parking public B se situe à une proximité immédiate pour qu’il puisse y garer sa voiture et ne perde donc pas en confort d’usage. A nouveau, la mutualisation des ressources, rendue possible par l’interopérabilité des différents systèmes d’information apparaît comme au cœur de toute performance servicielle, écologique et économique. Ces plateformes doivent ainsi pouvoir indiquer au bâtiment ce qu’il produit, ce qu’il consomme, ce qu’il stocke, mais aussi ce qu’il peut délester, accepter et recevoir de demandes provenant de l’extérieur.

 

A l’heure de l’innovation technologique continue, engager un projet smart building pertinent, aligné sur les usages relève d’une réalité. L’enjeu de fond dans cette construction réside dans l’organisation de la gouvernance de la donnée et dans l’architecture digitale du projet qui en découle. Un questionnement majeur pour garantir que les données soient utilisées de manière efficiente et que chaque partie prenante au projet puisse atteindre ses objectifs. Les solutions existent donc. Mais bien qu’elles soient déjà déployées çà et là sur le territoire, les bons élèves se font rares et il y a urgence. Légale tout d’abord puisque le décret BACS (Building Automation & Control Systems) exige à horizon 2025 que le tertiaire se dote d’un système de pilotage de ses équipements. Mais surtout écologique. Selon le baromètre 2021 de l’Immobilier Responsable, si un système de pilotage permet d’économiser 53% d’énergie ne serait-ce qu’en contrôlant le chauffage et la climatisation – qui sont les principaux postes de consommation d’énergie dans le bâtiment – on estime qu’à date seuls 5 à 10% des immeubles en sont équipés.

 

Pascal Zératès, Directeur Général de Kardham Digital.